Jackson Hole : Pourquoi le monde financier se passionne pour ce paradis de la pêche à la mouche (2024)

(BFM Bourse) - Comme chaque été depuis 1982, les grands argentiers mondiaux s'apprêtent à se retrouver au coeur d'une bourgade isolée du Wyoming, Jackson Hole, d'où ils pourraient annoncer des décisions importantes en matière de politique monétaire. Mais comment ce symposium est-il devenu une référence ? Et que faut-il attendre de ce millésime 2019 ?

Organisée par la Fed de Kansas City, la conférence annuelle de Jackson Hole réunit, chaque été, les banquiers centraux du monde entier dans une vallée située à 2.000 mètres d'altitude au fin fond du Wyoming. Le président de la puissante institution monétaire américaine, Jerome Powell, y est attendu de pied ferme, les investisseurs ayant besoin de clarté face aux craintes qui s'amoncellent sur l'économie mondiale.

Jackson Hole, un bon spot de... pêche à la mouche

Avant d'analyser les tenants et les aboutissants de ce millésime 2019, revenons brièvement sur la genèse de ce symposium. À la fin des années 1970, la Réserve fédérale de Kansas City -l'une des douze banques régionales de la Fed- décide d'organiser une conférence annuelle pour discuter des sujets économiques du moment. Après avoir sondé plusieurs sites, dont la très courue station de ski de Vail dans le Colorado, la banque régionale décide de changer de stratégie afin d'attirer un poids lourd de la finance en la personne de Paul Volcker, président de la Fed de 1979 à 1987.

Dans un livre consacré à l'histoire de l'événement, l'ancien directeur de la recherche et vice-président de la Fed de Kansas City, Tom Davis, qui était également chargé d'organiser la conférence, raconte comment le choix s'est porté sur Jackson Hole. "Nous avions d'abord pensé à Santa Fe (au Nouveau-Mexique) pour attirer de grands noms de la finance en été, puis on a cherché d'autres sites potentiels dans le Colorado". C'est là que la passion de Paul Volcker pour la pêche à la mouche est entré en ligne de compte. Sachant que la simple présence du président de la Fed suffirait à attirer d'autres poids lourds de l'économie mondiale et garantirait le succès de l'événement, Tom Davis se met à la recherche d'un endroit poissonneux dans le Colorado. Un expert lui explique alors que l'eau y sera trop chaude en août et lui conseille d'aller plus au Nord. Jackson Hole, une vallée qui culmine à 2.000 mètres d'altitude, dans le Wyoming, coche toutes les cases. Paul Volcker mord à l'hameçon et répond présent.

Contrairement au Forum économique de Davos qui se tient chaque hiver depuis 1971 dans une station huppée du canton suisse des Grisons, la conférence annuelle de Jackson Hole réunit seulement des économistes qui sont triés sur le volet, la capacité d'accueil de sa principale salle de conférence étant limitée à... 150 places. Si le fondateur de Davos, le professeur d'économie Klaus Schwab, se plaît à faire venir des célébrités comme le chanteur Bono ou l'actrice Sharon Stone, on préfère rester entre gens sérieux dans le Wyoming. Chefs d'entreprises et hommes politiques n'y sont pas les bienvenus non plus.

2005, 2007, 2010, les éditions marquantes

À partir du symposium de 1982, la conférence annuelle de Jackson Hole ne cessera de prendre de l'ampleur et de gagner en renommée. Parmi les millésimes restés dans les annales, celui de 2005 avait été marqué par l'intervention d'un certain Raghuram Rajan, professeur de finance à l'université de Chicago qui était également devenu, deux ans auparavant, le plus jeune directeur de recherche du FMI. L'économiste indien avait alors mis en garde les banquiers centraux contre les risques croissants portés par le système financier et proposé des politiques permettant de réduire ces risques. Son étude, intitulée "Est-ce que le développement financier a rendu le monde plus risqué ?" lui vaudra de vives critiques de la part de l'ancien secrétaire d'Etat au Trésor américain Lawrence Summers pour qui ces avertissem*nts feraient montre d'un mauvais jugement et seraient "réactionnaires" pour avoir osé remettre en question la politique monétaire menée par Alan Greenspan. "Larry" Summers était allé jusqu'à qualifier celui qui est depuis devenu depuis gouverneur de la banque centrale indienne de "luddite", du nom des ouvriers qui s'opposaient au machinisme en Angleterre au début du XIXe siècle.

La crise économique de 2008 a pourtant confirmé les vues de Raghuram Rajan, et le Wall Street Journal a reconnu dans un article resté célèbre, en janvier 2009, le caractère prémonitoire de son intervention.

Deux ans plus tard, "en pleine crise des subprimes, la réunion du 31 août 2007 aura marqué la réputation du symposium de Jackson Hole" relèvent les experts de Mirabaud Securities Genève. "En effet, en signalant clairement que "La Réserve fédérale se tient prête à prendre des mesures supplémentaires, en fonction des besoins, pour apporter des liquidités et favoriser le fonctionnement harmonieux des marchés", Ben Bernanke [président de la Fed à l'époque] donnera le coup d’envoi à un cycle de baisses de taux quasi sans précédent puisque ces derniers passeront de 5,25% le 18 septembre (soit la réunion de la Fed qui suivra Jackson Hole) à... 0,25% en décembre 2008", rappelle Mirabaud Securities.

Élu personnalité de l’année par le magazine Time en 2009 pour avoir, selon le mensuel, "sauvé les États-Unis du désastre financier", Ben Bernanke a également marqué le symposium de 2010 en ouvrant la voie au lancement d'un second programme de rachat d'actifs (QE).

Que faut-il attendre de la cuvée 2019 ?

"Le symposium de Jackson Hole tombe à point nommé cette année" estime Mirabaud. En effet, expliquent-ils, "en plein doute quant à la croissance mondiale et en pleine confusion concernant une prochaine récession, les banques centrales doivent absolument apporter des réponses aux investisseurs quelques semaines avant leurs prochaines réunions déjà considérées comme cruciales". Un an après avoir affirmé que les membres de la Fed pensaient que le processus graduel de hausse des taux demeurait approprié, Jerome Powell aura la lourde tâche de rassurer les marchés vendredi, après avoir procédé en juillet à la première baisse des taux depuis dix ans outre-Atlantique.

Le thème de cette année -"les défis de la politique monétaire"- est on ne peut plus d'actualité, alors que "des vigueurs économiques différentes ont amené les banques centrales à tracer des voies différentes" et que "les différentes trajectoires de la politique monétaire d'un pays à l'autre au cours des dernières années ont contribué à une divergence des taux d'intérêt" notent les analystes de Mirabaud. Ces trajectoires différentes ont en outre eu des répercussions sur les taux de change et les échanges commerciaux, donc sur l'activité économique mondiale. En sus, "l'inversion de la courbe des taux [des rendements obligataires américains, ndlr] a semé le trouble dans l'esprit des investisseurs" ajoute Mirabaud.

S'il ne fait que peu de doute du caractère accommodant de l'intervention de "Jay" Powell vendredi, c'est l'ampleur des prochaines baisses de taux qui préoccupe les investisseurs. Depuis début août, les marchés assignent une probabilité implicite de 100% en faveur d'une baisse de taux lors de la réunion de septembre, avec une probabilité qui varie entre 20 et 40% pour une baisse de 50 points de base, la majorité pariant toutefois plutôt sur 25 points.

La surprise pourrait venir de la BCE

Si les investisseurs vont à coup sûr scruter le discours du patron de la Fed, les experts de Mirabaud jugent que "la surprise pourrait néanmoins venir des responsables européens". Le gouverneur de la Banque centrale de Finlande Olli Rehn a en effet pris les devants jeudi dernier en déclarant que la BCE annoncerait, en septembre, un ensemble de mesures de relance qui devraient dépasser les attentes des investisseurs. Dans un entretien accordé au Wall Street Journal, l'économiste finlandais a déclaré que "le ralentissem*nt de l'économie mondiale conduirait la BCE à mettre en place de nouvelles mesures de relance qui devraient inclure des achats substantiels et suffisants d'obligations, ainsi que des baisses de taux directeurs".

"Lorsque vous agissez sur les marchés financiers, il est souvent préférable d'en faire trop que pas assez, et il est préférable d'avoir un ensemble très solide de mesures politiques plutôt que de bricoler" a-t-il ajouté, affirmant par ailleurs que la BCE pourrait également assouplir les conditions de nouvelles opérations de refinancement à long terme pour les banques, en abaissant leur taux d'intérêt ou en prolongeant leur échéance". Actuellement, le consensus s'attend à ce que l'institution monétaire européenne annonce une réduction de 0,1% de son taux de rémunération des dépôts (à -0,4% aujourd'hui) ainsi qu'environ 50 milliards d'euros par mois d'achats d'obligations dans le cadre de son programme de QE. "Toute déclaration en ce sens devrait redonner confiance aux investisseurs" concluent les experts de Mirabaud.

Quentin Soubranne - ©2024 BFM Bourse

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